La question du jour
J'entends de plus en plus parler dans mon entourage d'enfants ou d'ados colériques, incapables de gérer leurs frustrations.
J'aimerais aborder ici le sujet sous un angle qui m'est cher: les arts martiaux et leur intérêt dans la gestion des émotions, plus particulièrement chez les enfants (à noter que la plupart des adultes ne sont que de grands enfants sous bien des aspects, surtout quand on traite de gestion émotionnelle...).
Quand j'évoque ma pratique martiale, le feed-back que je reçois souvent est une version de: "oui, moi aussi je devrais m'inscrire à un cours de baffes et taper sur un sac quand je rentre d'une journée où mon patron m'a particulièrement énervé-e". Quand on est en colère, exprimer celle-ci permettrait donc de l'évacuer.
Ok.
Mais comment faire pour éviter qu'elle prenne le contrôle de nos vies en premier lieu?
Et dans le cas de leurs enfants, les parents se montrent souvent réticent à l'idée de confronter leur progéniture à une quelconque forme de violence ou de confrontation. Parfois, on accuse même celle-ci d'avoir provoqué ou cultivé les colères de l'enfant.
Je prendrai quelques instants pour définir ce que sont les expressions de colère et de violence chez les enfants et quelle est leur racine. Ensuite, je ferai une proposition de solution pour mieux gérer ces émotions expansives.

Mieux comprendre cette émotion qu'est la colère?
La racine du problème
J'aimerais au moins remettre en question cette idée que c'est confrontés à une quelconque forme de violence, visuelle ou autre, que les enfants vont devenir colériques ou violents à leur tour.
En gros, je pense que les enfants qui crisent et se rebellent sont en fait des enfants qui ont peur. Ces peurs créent des tensions, des appréhensions et des angoisses de toutes sortes qui vont s'exprimer de diverses manières. Parmi les grands classiques que je vois (un peu trop) souvent dans ma pratique, il y a les angoisses scolaires ou l'angoisse de performance (peur des examens par ex.), toutes sortes de peurs liées au besoin d'être intégré à un groupe, à l'adolescence plus particulièrement, ou simplement la peur, justifiée ou non, de se faire trimbaler, insulter, agresser...
Ces peurs et angoisses vont s'exprimer de diverses manières. Par des symptômes physiques (maux de tête ou de ventre, problèmes dermatologiques, etc.) mais également par toute une gamme de comportements, allant de la dépression à... des crises de colères. Celles-ci semblent parfois sortir de nulle part et être disproportionnées par rapport à ce qui les a déclenchées. C'est particulièrement le cas quand les tensions ont été accumulées sans être gérée. Un rien peu alors mettre le feu au poudre.
Quel rapport entre une peur et une expression de colère?
On pourrait commencer par se demander simplement à quoi sert la peur. On trouve, dans le monde animal, de nombreux exemples de ce principe.
Quand on regarde un tigre qui se dore la pilule au soleil, on perçoit de très loin sa détente et l'absence totale de stress à son attitude posée. D'ailleurs, pourquoi aurait-il peur et de quoi?
Auriez-vous peur d'une marmotte? Là où d'autres répondrait instinctivement que non, je vous dirais que ça dépend. Une marmotte acculée, sans possibilité de fuite et qui se sent menacée peu devenir très très méchante et s'attaquer à des animaux dix fois plus gros qu'elle. Parce qu'elle a peur. Et rien à perdre.
Pour éviter de cultiver une colère excessive, il convient en premier lieu de contrôler les peurs qui la génèrent.
À l'instar de la marmotte, je pense qu'un enfant bien élevé n'a aucune raison de développer un comportement colérique et violent si on lui explique comment boxer. Par contre, il y a bien des situations qui font qu'il peut se sentir acculé et menacé. L’agressivité est alors pour lui une manière de répondre à cette situation tendue.
Dans notre monde moderne et en l'absence de terrier, les réactions de colère ou d’agressivité sont souvent liées à une accumulation de stress et de tensions qui vont finir par trouver un exutoire.
Alors oui, cet exutoire peut prendre la forme d'une séance de frappes sur un sac de boxe. Mais je pense qu'il y a des idées bien plus constructives à tirer de ce genre de pratiques.
Les problèmes avec l'idée simple d'une pratique pour se défouler
Considérons quelques instants l'idée que la pratique des arts martiaux est un moyen simple de "laisser sortir la vapeur". J'ai deux réserves à émettre avant de proposer une vision des choses un peu plus subtile.
D'abord, si il suffit de taper dans un sac pour évacuer une frustration, c'est aussi un bon moyen de se blesser (très concrètement, des émotions non-contrôlées vont se refléter dans une gestuelle chaotique).
Le deuxième aspect qui fait de cette idée une solution pour le moins incomplète, c'est qu'elle ne résout rien sur le long terme. Il s'agit d'ouvrir les vannes et de laisser s'exprimer les tensions. Cela peut certes paraître être une bonne idée au vue de l'alternative. En l’occurrence, il n'est pas conseillé non plus de contenir ses émotions et de créer des tensions intérieures qui pourraient exploser plus tard ou se retourner contre leur propriétaire de diverses manières. Mais pour autant, se venger sur un pauvre sac de frappe (ou sur un malheureux prestataire de service sous-payé qui n'y est pour rien!) n'est pas une solution. "Se défouler" n'est pas une véritable gestion de la colère. Elle déborde malgré tout au lieu d'être gérée à la source pour éviter en premier lieu de la laisser nous contrôler.
Pratique martiale pour la gestion de la colère et de l'agressivité
Arts martiaux - courte définition
Je pense que c'est une pratique qui implique à un moment donné une confrontation avec l'autre, mais aussi avec soi-même. Elle permet de mieux se connaître au travers d'un travail d'introspection, par le corps ou autour des émotions (anticipation, frustration, peur, douleur, tensions physiques ou psychologiques, etc.). Vous constaterez peut-être que les idées développée ici s'appliquent en fait à pratiquement n'importe quel sport pratiqué de manière constructive et intelligente.
Quels aspects de la pratique touchent à la gestion de la peur
Tout d'abord, l'aspect physique.
Malgré notre vision très occidentale des choses, l'impact de l'esprit sur le corps ou du corps sur l'esprit n'est plus à prouver.
Une pratique de quelque sport que ce soit, martial ou non, peut être utilisée pour renforcer la conscience du corps, la qualité de la respiration et bien entendu la détente physique ou tout du moins une meilleure conscience des tensions. Celle-ci est un outil clé dans la gestion des peurs, puisque celles-ci s'expriment souvent sous forme de tensions physiques.
Ensuite, l'aspect émotionnel et le travail d'introspection que nécessite la pratique. Il est facile d'imaginer comment un sport de combat va confronter le pratiquant à toutes sortes de peurs, de douleurs et tensions, d'anticipations et de frustrations. La confiance et la connaissance de soi tirées du fait d'être passé à travers ces épreuves sont des éléments favorisants grandement la gestion des peurs au quotidien.
Et finalement, il y a un aspect social qui m'a toujours surpris par son importance. Même si on considère les arts martiaux comme des pratiques individuelles, je n'ai pas construit d'amitiés plus solides que celles que j'ai forgées en transpirant, luttant ou frappant. Le sentiment d'appartenance à un groupe, le soutien dans les moments plus difficiles ou le partage autour d'une passion commune sont autant de facteurs fondamentaux dans la confiance en soi.
La solution à tous vos problèmes?
Un ami, qui se reconnaîtra à la lecture de ces lignes, m'a une fois dit que si ça ne dépendait que de lui, la réponse à tous nos problèmes serait la pratique des arts martiaux. Et je ressens parfois la même chose par rapport à cette pratique qui m'accompagne bientôt depuis deux décennies, sous l'une ou l'autre forme.
Il y a fort à parier qu'une pratique martiale n'aide pas forcément le pratiquant à se débarrasser de toute ces peurs. Je pense en particulier à des peurs intenses et irrationnelles, comme certaines phobies. Pour celles-ci, une séance d'hypnose ericksonienne bien ficelée sera en principe plus adaptée.
On pourrait aussi se poser la question de l'utilité d'une colère canalisée. Celle-ci est alors une formidable énergie d'expansion et la contrôler n'a rien de bon.
Mais pour tout les autres cas, pour apprendre à mieux se connaître, pour apprendre à forger un changement durable, je reste persuadé que les arts du combat nous offrent des outils puissants (que j'utilise de plus en plus dans ma pratique!) et constituent une voie royale vers la liberté.
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